Interdire CNews, privatiser le service public audiovisuel… Le débat sur l’indépendance politique des médias s’échauffe en France. Mais derrière les polémiques, que disent concrètement les chiffres ? Pour tenter de l’éclairer, Hexagone propose en exclusivité avec l’hebdomadaire Marianne une analyse exclusive de la présence politique dans les sept principales émissions matinales de radio et de télévision françaises sur le mois de septembre.
Au total, 158 invités ont été recensés, en tenant compte à la fois de leur nombre et du temps de parole qui leur a été accordé. Cette approche permet de mesurer de façon plus objective les équilibres, ou déséquilibres, qui structurent le débat public. La conclusion ? La concurrence des médias favorise l’équilibre dans la diffusion de la parole des forces politiques même si cela n’empêche pas une sous-représentation de la parole de la droite et du Rassemblement national et une surreprésentation de la parole gouvernementale, du centre.

Majoritaires dans les intentions de vote, les courants idéologiques de droite font moins entendre leur voix dans les matinales
Les candidats et partis de droite, des Républicains à Reconquête, rassemblent aujourd’hui environ 50 % des intentions de vote, un niveau inédit depuis plusieurs années. Pourtant, leur visibilité médiatique reste en retrait : 38 % des invitations dans les matinales et 40 % du temps d’expression « seulement ». Comme la gauche, la droite est donc sous-représentée, mais avec une particularité : ce décalage se retrouve aussi bien sur le service public (France 2) que sur les grandes chaînes privées comme TF1. Seule CNews-Europe 1 inverse la tendance, avec 73 % des invités et 74 % du temps de parole accordés à la droite.

Le Rassemblement national est largement sous-représenté parmi les invités des matinales … sauf chez CNews-Europe 1
Premier parti du pays en nombre de voix, 33 % lors des dernières législatives et 34 % dans les intentions de vote actuelles, le Rassemblement national reste pourtant largement sous-représenté dans les grandes matinales. En incluant l’UDR d’Éric Ciotti, il ne représente que 20 % des invitations sur les sept principales émissions analysées.

Seul CNews-Europe 1 dépasse la barre des 34 % correspondant à son poids électoral, avec 36 % des invités et surtout 39 % du temps de parole. Partout ailleurs, la présence du RN demeure très en deçà : 13 % du temps de parole sur BFMTV ou Sud Radio, des scores inférieurs même à celui de France Inter (18 %).
Via la parole du gouvernement, le centre double sa place dans la parole médiatique par rapport à son soutien dans l’opinion
Le centre bénéficie d’une surexposition dans les matinales, portée par la parole gouvernementale, particulièrement valorisée en temps d’antenne. Sur les 33 invités étiquetés comme appartenant à la « majorité présidentielle » (Ensemble, Horizon et MoDem), 19 % sont des membres du gouvernement. François Bayrou, par exemple, a obtenu plus de trente minutes d’interview sur BFM et RTL juste avant l’échec de son vote de confiance, soit bien davantage que la plupart des invités habituels.

Résultat : alors que le parti présidentiel ne recueille plus qu’environ 16 % des intentions de vote, il occupe plus d’un cinquième du temps de parole dans les matinales, et même davantage sur certaines chaînes : 33 % sur France 2, 32 % sur TF1 ou encore 31 % sur Sud Radio. À l’inverse, les chaînes d’information en continu réservent une place bien plus réduite au camp centriste, avec 13 % sur BFMTV et 14 % sur CNews-Europe 1.
Sans CNews-Europe 1, la parole des représentants de la droite nationale et conservatrice serait encore plus sous-représentée
Dans les débats qui tournent autour de la présence de CNews-Europe 1 dans le paysage médiatique, et l’opportunité de son interdiction, Hexagone s’est penché sur son utilité dans la représentation juste des idées présentées par la chaine. Premier constat clair : contrairement à l’idée reçue, la parole du RN se révèle relativement marginale sur les différentes matinales par rapport à son poids dans l’opinion. Dans ce contexte, CNews-Europe 1 est le seul média à inviter des représentants du RN dans une proportion comparable à leurs représentativités dans l’électorat (36 % des invités contre 34 % des voix). Ainsi, la chaine du groupe Bolloré participe paradoxalement à un rééquilibrage global de la parole du RN dans les matinales de France.

A gauche, la parole non partisane s’impose au détriment des socialistes et des Insoumis
A première vue, la gauche dans son ensemble apparaît sous-représentée, avec 22 % des invitations et 19 % du temps de parole, alors que les intentions de vote la situent plutôt autour des 29 %. Dans le détail des chaines, elle reste malgré tout très présente, notamment sur France 2 (36 % des invités et 35 % du temps de parole) et Sud Radio (36 % et 38 % respectivement), et le nombre d’invités de gauche dépasse celui du Rassemblement national (34 contre 31 pour le RN), alors que le RN est en tête parmi les électeurs.

La gauche offre un cas particulier dans les matinales car cette apparente faiblesse s’explique en partie par la surreprésentation d’invités sans étiquette partisane, non décomptées comme étant de LFI, du PS ou des Ecologistes, mais identifiés à gauche, tels que par exemple Gabriel Zucman, Sophie Binet, Thomas Piketty ou Pierre Moscovici, inclus ici dans la catégorie « divers gauche ».
Ainsi, si l’on met de côté les étiquettes partisanes, que plus de la moitié des invités de France Inter n’ont pas (52 %) par exemple, et que l’on se penche plutôt sur le courant idéologique qu’ils portent, entre la gauche, la droite et le centre, on constate que la part des invités de gauche monte à 27 % et que leur temps de parole passe à 22 %.
METHODOLOGIE DE L’ENQUETE
L’analyse porte sur les grandes émissions matinales d’information diffusées à la radio et à la télévision en France. Ces programmes constituent des rendez-vous majeurs de l’agenda médiatique et accueillent régulièrement des responsables politiques, des représentants institutionnels, des experts ou des personnalités publiques.
Pour chaque invité ont été recensés son émission et la date de son intervention, son identité, son étiquette partisane lorsqu’elle est applicable (parti, mouvement ou rattachement déclaré), sa tendance idéologique (gauche, centre, droite) selon le ton des propos exprimés durant l’entretien ou les engagements passés de l’invité, son temps de parole effectif, chronométré à partir de la durée pendant laquelle l’invité s’exprime à l’antenne.