Pourquoi l’augmentation du taux d’emploi en France est un trompe-l’œil

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Alors qu’arrive l’heure du bilan pour Emmanuel Macron, la France affiche un record quantitatif incontestable depuis 2017 en matière de créations d’emploi. Hexagone s’est penché sur la réalité que cache cette création de 2,4 millions d’emplois, et souligne que la qualité et la durabilité de ces créations soulèvent certaines questions. L’économie française a certes su générer des emplois, mais forment-ils une base solide pour l’avenir, ou reposent-ils sur des ressorts fragiles et conjoncturels ?

Les défis des créations d’emploi depuis 2017

Depuis 2017, le nombre de personnes en emploi en France a fortement progressé. On compte aujourd’hui 2,4 millions d’actifs supplémentaires depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Ce chiffre impressionnant tranche avec la décennie précédente, marquée par un chômage élevé et des créations limitées.

Cette évolution représente une augmentation de près de 9 % en sept ans. Autrement dit, l’emploi a crû à un rythme soutenu, légèrement supérieur à celui enregistré dans la moyenne de la zone euro, où la hausse a été d’environ 8 %.

Ces chiffres offrent un premier aperçu positif de la dynamique du marché du travail. Mais pour comprendre pleinement ce qu’ils recouvrent, il faut aller plus loin et examiner cette progression de manière plus détaillée.

Des moteurs contrastés de la création d’emploi

Sur les 2,4 millions d’emplois créés depuis 2017, la répartition est loin d’être uniforme. Environ 600 000 de ces créations concernent des travailleurs non-salariés, c’est-à-dire ceux qui exercent une activité indépendante… par exemple, les auto-entrepreneurs.

En parallèle, on dénombre également près de 600 000 apprentis supplémentaires. Cette progression traduit à la fois le développement de l’apprentissage en France et la volonté politique de favoriser cette voie d’insertion professionnelle.

Enfin, environ 190 000 postes créés relèvent de l’emploi public, qui contribue lui aussi à la hausse globale.

En France, c’est surtout l’emploi non-salarié qui explose, en comparaison à nos voisins

En l’espace de quelques années, leur nombre de personnes en emploi non-salarié a augmenté de 21 %, une croissance nettement supérieure à celle observée en moyenne dans la zone euro, où la hausse n’a été que de 3 %. Mais qui sont exactement ces « non-salariés » ?

La réponse n’est pas si simple. Cette catégorie recouvre des réalités très diverses, allant des travailleurs indépendants traditionnels aux auto-entrepreneurs, en passant par des activités plus ponctuelles ou hybrides. Il est donc difficile de dresser un portrait unique et précis de ce groupe en pleine expansion.

D’après une enquête de l’INSEE, la très grande majorité de la croissance des emplois non-salariés provient du secteur tertiaire. Plus précisément, 93 % de l’augmentation enregistrée depuis 2017 est concentrée dans ce vaste champ d’activités qui regroupe les services, le commerce ou encore certaines professions libérales.

Une autre enquête, également réalisée par l’INSEE mais couvrant une période plus longue puisqu’elle remonte jusqu’en 2008, permet d’apporter des éléments supplémentaires. Elle offre un éclairage plus précis sur les domaines dans lesquels ces emplois indépendants se sont le plus développés et sur la transformation progressive du visage du travail non-salarié en France.

Les nouveaux “non-salariés” ont des revenus plutôt faibles

Parmi les secteurs qui ont le plus contribué à la dynamique de l’emploi non-salarié, deux se distinguent par un niveau de revenu particulièrement faible. Dans ces domaines, le revenu annuel moyen des travailleurs indépendants reste inférieur à 13 000 euros. À titre de comparaison, le revenu salarial moyen en France s’élève à environ 27 000 euros par an. L’écart est donc considérable et illustre la fragilité économique de nombreux emplois nouvellement créés.

Dans ces conditions, il est légitime de s’interroger sur l’apport réel de cette progression à l’économie dans son ensemble. Même si la hausse du nombre d’actifs est indéniable, on peut se demander si ces nouveaux emplois ont véritablement contribué à accroître la richesse produite par personne en emploi. Dit autrement, n’ont-ils pas, au contraire, eu pour effet de freiner les gains de productivité ?

L’’emploi salarié en France progresse en dessous de la moyenne de la zone euro

Si l’on met de côté les emplois non-salariés, quelle image obtient-on de la croissance de l’emploi en France depuis 2017 ? Le constat reste globalement positif : la progression atteint environ +8 %. Cependant, cette performance apparaît un peu moins favorable lorsqu’on la compare à celle de la zone euro dans son ensemble, où la croissance a été légèrement plus soutenue, autour de +9 %.

Par ailleurs, cette hausse de l’emploi en France repose en grande partie sur deux moteurs spécifiques : le développement massif de l’apprentissage et l’augmentation de l’emploi public. Ce sont eux qui expliquent l’essentiel de la dynamique observée sur la période.

Une croissance sous perfusion publique : apprentissage et emploi face au défi budgétaire

Il existe de solides arguments en faveur de l’investissement dans l’apprentissage. Cette voie de formation constitue un levier important pour l’insertion des jeunes sur le marché du travail, tout en répondant aux besoins de main-d’œuvre qualifiée des entreprises. À ce titre, la progression de la population d’apprentis de manière aussi spectaculaire (+620 000) au cours des dernières années est un phénomène rassurant.

Il est intéressant de noter que cette croissance concerne presque exclusivement le secteur privé. On peut en effet estimer qu’environ 97 % de ces nouveaux apprentis, soit près de 600 000, y exercent leur activité. Cela illustre le rôle central joué par les entreprises privées dans la montée en puissance de ce mode de formation.

L’essor de l’apprentissage ne repose pas uniquement sur l’engagement des entreprises : il mobilise également des financements publics considérables. Chaque année, plusieurs milliards d’euros sont consacrés à son développement. Or, cette dépense intervient dans un contexte où les finances publiques françaises sont déjà sous tension, ce qui pose inévitablement la question de sa soutenabilité à long terme.

La même remarque peut s’appliquer à l’évolution de l’emploi public. Depuis 2017, environ 190 000 postes supplémentaires ont été créés dans la fonction publique. Cela représente près de 10 % de l’ensemble des emplois salariés créés sur la période. Là encore, la dynamique de l’emploi a été soutenue, au moins en partie, par des choix budgétaires impliquant un effort significatif de la collectivité.

La hausse du nombre d’apprentis et d’emplois publics coûte 15 à 20 Milliards

On peut ainsi estimer que l’augmentation du nombre d’apprentis et d’agents de la fonction publique depuis 2017 représente un coût annuel compris entre 15 et 20 milliards d’euros pour les finances publiques. Cette enveloppe donne la mesure de l’effort budgétaire consenti afin de soutenir la création d’emplois dans ces deux catégories.

En conclusion, la France peine à créer des emplois à forte productivité, pourtant nécessaire pour résoudre ses problèmes économiques

L’analyse de l’observatoire Hexagone n’implique pas nécessairement qu’il faille mettre fin à des politiques qui ont favorisé l’essor de l’apprentissage, soutenu l’emploi public ou encouragé le développement du non-salariat. Chacune de ces dynamiques présente en effet des avantages réels, qu’il s’agisse de l’insertion des jeunes, de la réponse aux besoins de services publics ou encore de l’opportunité d’entreprendre.

En revanche, le débat public doit se pencher sur la faiblesse persistante de la création d’emplois en dehors de ces schémas particuliers. C’est là que se trouve le cœur du problème : comment générer une croissance durable de l’emploi salarié classique, productif et mieux rémunéré ? C’est sans doute le vrai défi de l’emploi en France, et, plus largement, le vrai défi de notre croissance.

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