Le lancement de ChatGPT en novembre 2022 marque un tournant dans notre rapport à l’information. En quelques mois, les outils d’intelligence artificielle, pas seulement ChatGPT, ont transformé les usages numériques du quotidien, en s’imposant comme des assistants capables de répondre immédiatement à des besoins jusqu’alors comblés par des moteurs de recherche comme Google et une diversité de sites web dits « utilitaires » (encyclopédies, dictionnaires, forums, recettes, etc.). Grâce à une analyse inédite des recherches Google, Hexagone montre clairement une baisse spectaculaire des recherches vers certains sites, révélant une mutation profonde du paysage numérique.
L’IA remplace les parcours traditionnels de recherche et marque l’effacement des sites « utilitaires »
Jusqu’alors, chercher une information en ligne signifiait passer par un moteur de recherche, suivre un ou plusieurs liens, comparer des sources, choisir celle qui semblait la plus adaptée aux circonstances, et lire des articles. ChatGPT et ses équivalents bouleversent cette logique : l’utilisateur peut désormais poser directement une question et obtenir une réponse synthétique mais directe. Il n’a plus besoin d’effectuer ce travail de confrontation des sources. Cela réduit le besoin de consulter plusieurs sites spécialisés, comme Doctissimo pour la santé, Marmiton pour les recettes ou Reverso pour les traductions.

Cette automatisation de la réponse affecte directement le trafic des sites utilitaires. Ainsi, depuis le lancement de ChatGPT, l’indice de recherche évalué via Google Trends pour des sites comme Linguee ou Marmiton a été divisé par deux. Même Wikipedia a vu sa marque recherchée 60 % de moins.
L’IA absorbe des usages autrefois répartis entre des plateformes spécialisées, en les rendant accessibles via une seule interface. Cela remet en question la viabilité du modèle économique de ces sites, fondé sur le trafic issu des moteurs de recherche. La question qui est soulevée est donc celle de savoir qui alimentera en contenus et informations les sites actuellement utilisées par ChatGPT pour nous fournir ses réponses.
Le modèle du moteur de recherche classique s’effrite pour laisser place à des informations plus directes mais aussi moins nombreuses
Google lui-même a entamé une transformation avec son projet d’IA générative intégrée (Search Generative Experience), signe que le modèle traditionnel du moteur de recherche fondé sur les liens bleus et le référencement est en déclin. Les internautes attendent désormais des réponses, pas des pages.
Cette mutation pose un enjeu crucial : si les IA s’imposent comme intermédiaires uniques, elles concentrent le pouvoir d’accès à l’information. Cela pourrait conduire à un web moins ouvert, où les sources deviennent invisibles et où la transparence de l’information est affaiblie.
L’essor des intelligences artificielles ne remet toutefois pas en cause la supériorité des sites institutionnels en matière de fiabilité
Hexagone s’est également penché sur l’évolution de la fréquence des recherches vers les sites institutionnels, tels que ceux de l’INSEE, de la Cour des comptes ou encore de Légifrance. On observe que les utilisateurs conservent le réflexe de consulter directement les sources publiques pour accéder à certaines informations. Ainsi, la fréquentation de ces sites progresse parfois depuis le lancement de ChatGPT, en particulier celle de la Cour des comptes et de l’INSEE, comme un réflexe visant à vérifier la fiabilité des données.

L’intelligence artificielle ne modifie pas seulement nos outils : elle transforme en profondeur nos façons de chercher, d’apprendre et d’interagir avec le savoir en ligne. Ces mutations ne concernent d’ailleurs pas seulement les IA, mais aussi les réseaux sociaux qui deviennent des moteurs de recherche à part entière, qui peuvent expliquer aussi les baisses de fréquentations sur les sites « utilitaires » classiques. Le défi des années à venir sera de préserver la diversité et la qualité de l’information dans ce nouvel écosystème centré sur les réponses instantanées.