La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) vient de publier son 35ᵉ rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Cette édition 2024 propose un double éclairage : d’un côté, les faits enregistrés par les forces de l’ordre, de l’autre, les résultats d’une enquête d’opinion menée auprès d’un échantillon représentatif de la population française.
Certaines tendances ressortent nettement. D’autres, comme les actes antichrétiens, sont étonnamment absentes du rapport – malgré leur présence dans les statistiques officielles du ministère de l’Intérieur. Voici les principaux enseignements à retenir.
Premier constat marquant : les faits antisémites enregistrés par les services de police ou de gendarmerie dépassent largement les autres catégories.
Voici le constat des faits reportés pour l’année 2024 :
- Faits antisémites : 1 570
- Faits antimusulmans : 173
- Autres faits racistes ou xénophobes : 1 401

Ce déséquilibre est d’autant plus frappant que la population juive représente moins de 1 % des habitants en France, contre environ 10 % pour les musulmans.
Dans ces faits, la violence physique est particulièrement marquée contre les juifs
Parmi les faits antisémites recensés, les deux tiers sont des atteintes aux personnes (et non des dégradations ou menaces), ce qui constitue une proportion exceptionnellement élevée. À titre de comparaison, en 2024, les forces de l’ordre ont enregistré 12 fois plus d’atteintes aux personnes à caractère antisémite qu’antimusulman.

Cette tendance est également récente : les actes antisémites ont été multipliés par 3,5 depuis 2022, avec une explosion en 2023, en lien évident avec la résurgence du conflit au Proche-Orient. En 2024, on observe un léger recul de 6 %, mais les chiffres restent à un niveau historiquement élevé.

Dans le rapport de la CNCDH, les actes antichrétiens sont volontairement occultés
Un angle mort persistant du rapport de la CNCDH est l’absence de toute analyse des actes antichrétiens, pourtant suivis par le ministère de l’Intérieur. La raison invoquée : ils relèveraient surtout de la petite délinquance, comme les vols dans les églises ou les dégradations de tombes.
Or, les données disponibles montrent que cette explication est partiellement réductrice. En 2023, les chiffres ministériels indiquaient :
- Actes antisémites : 1 676
- Actes antichrétiens : 854
- Actes antimusulmans : 242
Jusqu’en 2023, les actes antichrétiens dépassaient donc régulièrement les actes antisémites. Et lorsqu’on isole les atteintes aux personnes, en écartant les simples vols ou dégradations, on constate que les actes antisémites restent les plus nombreux, mais que les actes antichrétiens et antimusulmans sont très proches en volume.
Ce que disent les Français : ils n’ont jamais été aussi peu racistes
Le rapport s’appuie également sur une enquête représentative menée auprès de 1 210 personnes qui met en lumière un recul net du racisme biologique.

Seuls 6 % des Français estiment encore qu’« il existe des races supérieures à d’autres », contre 14 % en 2002. Même parmi ceux qui se disent eux-mêmes « plutôt racistes », seuls 22 % adhèrent à cette vision hiérarchique.
Selon la CNCDH, le racisme aujourd’hui ne passe donc plus (ou moins) par une justification biologique, mais par des perceptions de rupture culturelle et de rejet communautaire.
Quand on demande aux sondés quelles communautés leur paraissent « à part dans la société », les réponses sont éloquentes : 58 % citent les Roms, qui restent la catégorie jugée la plus à part, malgré une baisse tendancielle depuis plusieurs années, loin devant les musulmans (32 %), les Maghrébins (28 %), les Asiatiques (26 %), les juifs (24 %) et les Noirs (13 %).

L’enquête montre toutefois que les préjugés sont transversaux. Ainsi, 57 % des personnes appartenant à une autre religion que le catholicisme (principalement des musulmans donc) partagent des préjugés antisémites, un taux similaire à celui mesuré chez les personnes se déclarant d’extrême droite (56 %).

De même, l’« islamophobie » est particulièrement marquée chez les personnes de plus de 65 ans (53 %), ainsi que chez les catholiques non pratiquants (52 %). Curieusement, les pratiquants réguliers se montrent un peu moins hostiles aux musulmans (45 %).

L’immigration, enjeu devenu central dans les crispations exprimées par les Français
Enfin, le lien entre immigration et insécurité reste une source majeure d’anxiété chez de nombreux Français. En 2024, 46 % des personnes interrogées estiment que « l’immigration est la principale cause de l’insécurité », soit le taux le plus élevé depuis 2014, et 3 points de plus que l’an dernier.

En conclusion, le rapport 2024 de la CNCDH révèle une société française traversée par des lignes de fracture multiples. Le recul du racisme biologique est indéniable, mais il laisse place à des formes différentes de défiance ou de ressentiment entre communautés. Les actes antisémites, en forte augmentation, constituent aujourd’hui la forme la plus visible et violente de cette haine. Mais ils ne doivent pas masquer d’autres dynamiques, comme la persistance des actes antichrétiens ou l’hostilité des musulmans envers les juifs, souvent sous-estimées ou occultées.