Les restrictions d’accès aux centres urbains selon l’âge et la motorisation des véhicules se multiplient. Si les intentions écologiques et sanitaires sont louables, des interrogations demeurent sur les conséquences sociales de telles mesures.
Au 1er janvier 2025, la France comptera plusieurs dizaines de nouvelles zones à faibles émissions (ZFE), par exemple à Nîmes, Pau, ou Rennes. Dans certaines agglomérations comme Paris et Lyon, les véhicules Crit’Air 3, 4 et 5 seront bannis, sauf exceptions. C’est l’équivalent d’environ 30% du parc roulant en France.
En cause : la lutte contre la pollution, une priorité de bon sens, mais qui risque de creuser les inégalités sociales. Derrière ces mesures, se profile un impact potentiellement discriminant, car ces interdictions de circulation pourraient bien frapper en priorité les populations les plus modestes et les plus dépendantes de leur voiture.
Chômage élevé et accès aux soins limité
Dans les communes où les véhicules Crit’Air 3, 4 et 5 – parmi les plus anciens – dominent, le taux de chômage atteint des sommets. Dans les communes où la part de ses voitures est la plus importante, le taux de chômage s’établit à 10 %, bien au-dessus de la moyenne nationale, qui n’est que de 7 % en 2021.
Ce chiffre illustre une réalité brutale : pour bon nombre de résidents de ces zones, acquérir une voiture plus récente et moins polluante relève de l’impossible, faute de moyens financiers.
Le taux de chômage est nettement plus élevé dans les communes comptant le plus de véhicules anciens

L’accessibilité aux soins y est également plus faible. L’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL) aux médecins généralistes, qui mesure la densité de professionnels de santé, est de 3,1 dans ces zones, contre 3,8 pour la moyenne nationale. Un accès restreint aux soins, associé à des conditions de vie plus précaires, dessine le portrait d’une population vulnérable, souvent laissée pour compte.
Dans les communes comptant le plus de véhicules anciens, le tissu médical est moins dense

Revenus modestes et parc automobile vieillissant
La précarité de ces habitants se reflète également dans leur niveau de vie. Le revenu médian disponible par unité de consommation (UC) n’est que d’environ 17 000 euros dans ces communes, alors que la moyenne nationale s’élève à 23 000 euros. Ces foyers n’ont souvent pas les moyens de renouveler leur véhicule, d’autant plus que le coût de la transition écologique, à travers l’achat d’un véhicule électrique ou hybride, reste inaccessible pour beaucoup.
Les communes où les véhicules sont les plus anciens sont les plus pauvres

Une dépendance à la voiture qui complique les alternatives
Dans ces mêmes zones, l’usage de la voiture pour se rendre au travail est quasi incontournable. Près de 76 % des habitants utilisent leur véhicule personnel pour les trajets domicile-travail. Cela s’explique en partie par la configuration de ces communes, souvent éloignées des centres urbains et des réseaux de transports en commun. La voiture, parfois vieillissante et polluante, reste leur seul moyen de transport viable pour se rendre au travail.
Dans les communes où les véhicules sont les plus anciens, la population est très dépendante de la voiture

Le reflet d’une fracture politique
Cette fracture sociale se traduit également dans les urnes. Dans les communes où les véhicules Diesel et Crit’Air 3, 4 et 5 sont particulièrement nombreux, le RN est particulièrement populaire. Marine Le Pen y a ainsi obtenu en moyenne 29 % des voix au premier tour de la présidentielle de 2022, contre 20 % pour Emmanuel Macron. Les ZFE risquent de cristalliser un rejet plus profond, celui d’une transition écologique perçue comme élitiste, coupée des réalités de ceux qui n’ont pas les moyens de la suivre.
Le vote RN est particulièrement ancré dans les territoires avec les véhicules les plus anciens

Si l’urgence écologique est indéniable, la transition doit être suffisamment prudente pour embarquer l’ensemble de la population. Dans certains agglomérations, la mise en place des ZFE sera ainsi particulièrement progressive. Ainsi, à Pau, seules les voitures immatriculées avant 1997 seront concernées dans un premier temps. Dans d’autres agglomérations, comme Paris, les conditions sont bien plus strictes. Plus que jamais, n’oublions pas que le développement durable s’appuie sur 3 piliers : environnemental certes, mais aussi économique et social.