Accès au logement : la maison brûle-t-elle vraiment ?

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Qu’est-ce que la crise du logement, qui fait de plus en plus parler dans les médias ? La situation est-elle si sombre ? Hexagone décrypte le sujet.

Qu’est-ce que la crise du logement, qui fait de plus en plus parler dans les médias ? La situation du logement en France est-elle si sombre qu’on peut parfois l’entendre ? Hexagone décrypte le sujet à l’aide de données publiques de référence et d’un sondage exclusif réalisé par l’Ifop.

A première vue, il peut sembler étrange de parler de « crise du logement » alors que la France figure parmi les pays ayant le plus grand nombre de logements par habitant dans l’OCDE, juste après l’Espagne, avec 591 logements pour 1 000 habitants. Mais ce nombre n’inclut pas que des résidences principales dans les bassins d’emploi : les logements vacants, secondaires et éloignés des grandes métropoles constellent nos paysages. La réalité du logement est complexe et fragmentée.

Ainsi, 82 % des Français, selon notre sondage exclusif Ifop, estiment que l’accès au logement est difficile. 24 % jugent même la situation « très difficile », notamment parmi les locataires (34 %), les ouvriers (34 %) et les personnes âgés de 35 à 49 ans (29 %). Les données disponibles sur le sujet leur donnent raison.

Le coût du logement ne cesse d’augmenter. Alors qu’il est recommandé d’y consacrer au maximum 33 % de ses revenus, la part des Français y allouant 40 % ou plus a fortement augmenté, passant de 27 % en 2016 à 37 % en 2023, d’après un sondage Elabe pour l’Institut Montaigne. Cette situation touche particulièrement les ouvriers (50 %), contre 18 % des retraités. Sans surprise,
83 % des Français jugent cette dépense excessive par rapport à leurs revenus.

Les Français identifient plusieurs raisons expliquant la difficulté à se loger. En tête, on trouve le prix des loyers (95 %) et des logements à l’achat (93 %), suivis par le coût des crédits immobiliers (89 %). Ensuite viennent la pression démographique dans les grandes villes (78 %), les logements vacants (78 %) et les résidences secondaires (65 %). L’offre est également freinée par des discriminations (64%) et le manque de nouvelles constructions (63%).

Les prix de l’immobilier ont fortement augmenté ces dernières années. Selon la Fédération des Promoteurs Immobiliers, les prix des logements neufs ont grimpé de 33 % entre 2015 et 2022, tandis que ceux des logements anciens ont augmenté de 24 %, d’après l’INSEE. En comparaison, l’inflation sur l’alimentation et l’énergie, mesurée par l’OCDE, n’a progressé que de 17 %.

Dans certaines grandes villes, la hausse des prix dépasse largement la moyenne nationale, aux alentours de 70% à Bordeaux entre 2013 et 2023, 60 % à Rennes ou 55 % à Strasbourg, selon « La note de conjoncture immobilière » des notaires de France.

Ce phénomène est sous-tendu par la polarisation des universités et des emplois. Ainsi, 92% des étudiants et 65% des emplois en France se concentrent dans les centres urbains, qui ne rassemblent pourtant que 50% des logements du pays.

Bien que les prix soient considérés par les répondants à notre sondage comme le principal problème du logement en France, les taux d’intérêt, qui influencent également ces coûts, sont cités par 34 % des Français.

Après avoir stagné autour de 1 %, les taux des crédits immobiliers ont fortement augmenté à partir de 2021, atteignant plus de 4 % en novembre 2023. En parallèle, la durée moyenne des prêts accordés s’est allongée, passant à 248 mois (20 ans et 8 mois), contre 200 mois en 2014.

La part des ménages propriétaires de leur logement stagne depuis une vingtaine d’années, après des décennies de progression. En 2023, 57% des ménages sont propriétaires de leur résidence principale, contre 52% en 1985.

Cependant, la France se classe désormais parmi les pays européens avec le taux de propriétaires le plus bas. Avec une méthodologie légèrement différente de celle de l’INSEE, l’OCDE place la France en fond de classement, devançant seulement la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche et le Danemark.

Devenir propriétaire devient de plus en plus cher, et donc de plus en plus inégalitaire. Selon l’analyse de Jacques Friggit basée sur les données de l’INSEE, la part des 10 % des ménages les plus pauvres accédant à la propriété est passée d’environ 50 % en 1973 à moins de 20 % en 2013.

Les Français sont conscients de ce phénomène : 71 % des répondants à notre sondage estiment qu’il est plus difficile d’accéder à la propriété qu’il y a 25 ans, contre 45 % en 2001.

Cependant, la crise de l’accès au logement ne concerne pas que la propriété. Le marché locatif privé subit aussi une forte pression. Entre 1984 et 2020, les loyers ont été multipliés par 2,6.
En 2016, 26 % des locataires de logements sociaux avaient 60 ans ou plus, contre 18 % dans le parc privé. À l’inverse, seuls 14 % des locataires de logements sociaux avaient moins de 30 ans, contre 28 % dans le parc privé.


L’accès au logement social se complique en raison d’un déséquilibre entre l’offre et la demande. Si 71 % des Français se disent favorables à la création de nouveaux logements sociaux, 44 % s’opposent à leur implantation dans leur propre quartier, un taux en hausse de 19 points depuis 2005.

Cette hausse dépasse largement l’indice de référence des loyers, utilisé pour ajuster les loyers dans le secteur privé, qui n’a augmenté « que » de 96 % sur la même période, reflétant l’évolution des prix à la consommation (hors loyers).

Là encore, la problématique d’accès au logement n’est pas la même selon la typologie de commune, comme en témoigne l’écart de prix entre grands centres urbains et zones rurales. Le prix moyen du m² à la location est 140 % plus élevé dans les 10 plus grandes villes du pays que dans les zones rurales à habitat très dispersé.

Les tensions sur le marché locatif dans les grandes métropoles sont exacerbées par la croissance et la polarisation de la population étudiante. Celle-ci a doublé depuis 1980 et se concentre à 92% dans les centres urbains.

En effet, la moitié des étudiants ne vivent plus chez leurs parents, ce qui intensifie la demande locative, notamment dans les grandes villes où l’offre disponible plafonne.

Au-delà de la question des prix et du déséquilibre entre l’offre et la demande dans les grandes métropoles, d’autres facteurs complexifient l’accès à la location.

D’après notre sondage, 64 % des Français considèrent que des discriminations contribuent aux difficultés à trouver un logement. Plus révélateur encore, 37 % des propriétaires interrogés reconnaissent une certaine réticence à louer leur bien à des personnes d’origines, de nationalité, de religion ou d’orientation sexuelle différentes des leurs.

Le nombre de mises en chantier a fortement diminué ces dernières années, passant de 435 000 en 2017 à 298 000 en 2023, son niveau le plus bas du XXIe siècle. Un nombre bien en dessous du seuil de 450 000 unités nécessaires avancé par la Fédération des Promoteurs Immobiliers, sans qu’on connaisse toutefois le détail précis de cette estimation.

La forte hausse des coûts de construction, liée à l’envolée des prix des matières premières, explique vraisemblablement le recul des mises en chantier.

Parallèlement, le nombre de ventes de logements, qu’ils soient neufs ou anciens, a fortement chuté depuis 2021.

La crise d’accès au logement qu’on observe dans les grands bassins d’emploi accentue logiquement la demande de logements sociaux. Pourtant, le parc locatif social peine à se renouveler en raison du vieillissement de ses occupants et de certaines réticences à l’implantation de nouveaux logements sociaux.

Les occupants des logements sociaux sont en moyenne plus âgés que dans le parc privé. En 2016, 26 % des locataires de logements sociaux avaient 60 ans ou plus, contre 18 % dans le parc privé. À l’inverse, seuls 14 % des locataires de logements sociaux avaient moins de 30 ans, contre 28 % dans le parc privé.

Par ailleurs, si 71 % des Français se disent favorables à la création de nouveaux logements sociaux, 44 % s’opposent à leur implantation dans leur propre quartier, un taux en hausse de 19 points depuis 2005.

Le nombre de résidences secondaires a augmenté de 31 % en plus de 30 ans, contre 17 % pour la population, dépassant les 3 millions de logements.

Dans ce domaine, la France est en tête des pays de l’OCDE en termes de part de résidences secondaires, juste derrière des pays d’Europe du Sud comme le Portugal et l’Espagne.

Dans certaines grandes villes, une partie du parc locatif est absorbée par l’économie touristique via des plateformes comme Airbnb. En Île-de-France, jusqu’à 135 000 logements sont concernés, dont 96 000 à Paris.

Les résidences secondaires constituent-elles un réservoir de logements qui pourrait soulager la crise d’accès au logement ? Cela ne semble pas évident. Au-delà des obstacles politiques à une remobilisation de ces biens, leur localisation est dans l’ensemble plutôt défavorable. Plus de la moitié des résidences secondaires sont en effet situées dans des zones rurales rassemblant seulement 21% des emplois et 1% des étudiants du pays.

Début 2020, plus de 3 millions de logements étaient vacants en France, représentant 8,2 % de l’ensemble des logements. Cela correspond à une augmentation de 55 % depuis 2005.

La France se situe pourtant dans la moyenne des pays de l’OCDE en matière de logements vacants, avec un taux inférieur à celui de pays comme l’Espagne et le Japon, mais supérieur à celui des Pays-Bas et de l’Angleterre.

Cependant, ces logements sont souvent mal situés ou inadaptés et ne sont pas disponibles pour une occupation immédiate. Deux tiers d’entre eux sont d’ailleurs situés en dehors des grands centres urbains où se concentrent l’essentiel des tensions sur le marché de l’immobilier. En réalité, moins un territoire est attractif, plus la part de logements vacants y augmente. Tout porte à croire que les logements vacants ne sont donc pas une solution miracle à la crise du logement. Hexagone a récemment développé le sujet dans un article dédié.

Le vieillissement de la génération du baby-boom pourrait-il libérer une offre immobilière suffisante pour atténuer les tensions liées à l’accès au logement en France ? Bien que cette hypothèse soit parfois évoquée, la réalité est plus nuancée. Hexagone a publié un article sur le sujet, s’appuyant sur les données de l’INED et de l’INSEE, montrant que le vieillissement de cette génération ne résoudra pas les tensions sur le marché du logement.

D’une part, le nombre de maisons et d’appartements libérés sera probablement trop faible pour avoir un impact significatif sur le secteur immobilier. D’autre part, seulement un tiers de ces logements se trouve dans les grands centres urbains, où se concentrent la majorité des difficultés d’accès au logement.

Si la hausse des prix du logement en France renforce les difficultés d’accès au logement, il convient de souligner que le phénomène est encore plus fort dans d’autres pays européens comme l’Allemagne ou l’Espagne. La crise d’accès au logement n’est pas un phénomène exclusivement français.

Par ailleurs, il convient de souligner que la hausse des prix s’explique en partie par l’amélioration de la qualité des logements, notamment en termes de surface, d’équipements et de localisation. La surface moyenne occupée par personne a ainsi très fortement augmenté, passant de 31 m² dans les années 1980 à 41m² au début des années 2020.

Les Français reconnaissent cette évolution positive. Ainsi, seuls 20% des Français estiment que le logement qu’ils occupent est moins bien que celui de leur enfance. Ce taux est même deux fois plus faible chez les retraités. De plus, 85 % des Français se déclarent satisfaits de leur logement, dont 30 % très satisfaits, malgré une baisse de 6 points de ce sentiment en 10 ans.

L’accès au logement est de plus en plus coûteux, et il est rendu encore plus difficile dans les grandes métropoles qui souffrent d’un déséquilibre entre l’offre et la demande. Le taux de propriétaires stagne, les loyers s’envolent, les listes d’attentes des logements sociaux s’allongent. Les tensions sont telles dans les grands centres urbains qu’on parle alors de « crise du logement », bien que cette situation soit apparue de manière progressive.

A ce stade, rien n’indique que la tendance pourrait s’inverser à court terme. Les logements vacants, les résidences secondaires et la surmortalité à venir dans la prochaine décennie ne sont en aucun cas des réservoirs de biens immobiliers fournissant la solution miracle aux difficultés rencontrées. Plus inquiétant encore, la construction de nouveaux logements est au plus bas depuis le début du XXIe siècle alors qu’il faudra loger 2 Millions de foyers supplémentaires d’ici 2035 d’après les dernières projections démographiques.

Dans ce contexte, la prise de conscience de l’ampleur des enjeux par la classe politique et l’opinion publique semble essentielle.

Toutefois, plus qu’une crise « du logement », il s’agit avant tout d’une crise « d’accès » au logement. Les biens immobiliers en eux-mêmes progressent en qualité et satisfont leurs habitants. Le logement en France repose encore sur des fondations solides, reste à trouver la clé pour soulager les tensions dans les grands centres urbains.

Ministère de la transition énergétique et du développement durable – Chiffres clés du logement – Édition 2022

Ministère de la transition énergétique et du développement durable – Enquête Logement de la SDES de 2023 sur les logements sociaux

OECD Affordable Housing Database

Housing in Europe 2022 Edition – Eurostat

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